== Soutenue par le réseau Millesoins, elle espÚre secouer la profession

Six mois d’interdiction d’exercer, dont quatre avec sursis : c’est la sanction infligĂ©e Ă  Eliza CastagnĂ© et Antoine Prioux par l’ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine pour avoir dispensĂ© des mĂ©dicaments Ă  l’unitĂ© depuis 2019, hors cadre lĂ©gal, dans leurs pharmacies de Bugeat et de Sornac (CorrĂšze). Le 18 juin dernier, des mĂ©decins et autres professionnels de santĂ© du pĂŽle Millesoins organisaient Ă  Bugeat une rĂ©union d’information et de soutien Ă  leur cause.

Dispenser Ă  l’unitĂ©, qu’est-ce que ça veut dire ? Eliza donne un exemple : si la boĂźte contient 20 cachets, que l’ordonnance indique une prise de 3 par jour pendant 3 jours, cela fait 11 cachets en trop. La pharmacienne dĂ©coupe la tablette, n’en dĂ©livre que 9, et les autres pourront ĂȘtre donnĂ©s Ă  une autre personne.

Pourquoi avoir fait cela ? Eliza et Antoine avancent plusieurs arguments. En premier lieu, il s’agit de lutter contre les pĂ©nuries rĂ©currentes, puisqu’une mĂȘme boĂźte est rĂ©partie sur plusieurs personnes, qui ne manqueront donc pas de mĂ©dicaments. Mais aussi pour limiter les risques d’automĂ©dication : quand il reste des mĂ©dicaments dans l’armoire Ă  pharmacie, on est susceptible d’en reprendre sans ordonnance, ce qui conduit Ă  de nombreux accidents pouvant entraĂźner la mort, avec les anxiolytiques notamment. Autre argument, celui de l’antibiorĂ©sistance, « l’une des plus graves menaces pesant sur la santĂ© mondiale » selon l’OMS. La France permet de dispenser les antibiotiques Ă  l’unitĂ© depuis 2022, trois ans donc aprĂšs la dĂ©cision d’Éliza et Antoine de le faire. Enfin, le couple avance un dernier motif : la lutte contre le gĂąchis de mĂ©dicaments, ses coĂ»ts pour la SĂ©cu et pour l’environnement.

L’an passĂ©, le prĂ©sident de l’ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine, GĂ©rard Deguin, porte plainte. Il s’explique dans notre interview : « Le premier patient, il n’y a pas de souci, on facture la boĂźte, il va avoir une trace dans son dossier pharmaceutique, dans son dossier mĂ©dical. Pour le deuxiĂšme patient, on lui donne les mĂ©dicaments. Du coup, il n’y a aucune traçabilitĂ© sur ce qui est fait et particuliĂšrement justement sur les molĂ©cules qu’ils ont rajoutĂ©es, les benzodiazĂ©pines, ce qui veut dire qu’une personne qui a un accident dans la rue, quand il va arriver aux urgences, on va mettre sa carte vitale dans le lecteur pour voir son dossier pharmaceutique et son dossier mĂ©dical partagé : il n’y a rien, il ne prend rien puisqu’on le donne. Donc, on sera amenĂ© peut-ĂȘtre Ă  le surcharger en benzodiazĂ©pines et donc dans ce cadre-lĂ , on met en danger la vie du patient. »

Cette Ă©ventualitĂ© est reconnue par Eliza et Antoine, qui persistent : le risque est mineur comparĂ© aux bĂ©nĂ©fices de la dispensation Ă  l’unitĂ©, mĂȘme sans traçabilitĂ©. Antoine ajoute : « Aujourd’hui, les pouvoirs publics sont tous en faveur. Ce qui bloque, c’est les syndicats patronaux de pharmacies d’officine. Globalement, ils n’en veulent pas de la dispensation Ă  l’unitĂ©. Et aprĂšs, il y a certains argumentaires que je comprends. C’est du temps qui n’est pas rĂ©munĂ©rĂ©. On a beaucoup de choses Ă  faire, on a beaucoup de gestion, on a de plus en plus de missions, c’est trĂšs difficile aujourd’hui de remplir pleinement toutes ces fonctions de pharmacien, que ce soit sur le cĂŽtĂ© chef d’entreprise ou professionnel de santĂ©. Et donc nous, on dit non seulement qu’on en veut, mais en plus, on veut rĂ©inventer notre mĂ©tier pour ne plus ĂȘtre rĂ©munĂ©rĂ© sur une activitĂ©. Parce qu’aujourd’hui, plus vous ĂȘtes malade, plus je gagne ma vie. Et moi, ça me dĂ©plaĂźt, je suis le gardien des poisons, je ne veux pas de ça. Je prĂ©fĂ©rais ĂȘtre payĂ© justement pour une utilitĂ© sociale que vous reconnaissez et faire mon mĂ©tier pour Ă©viter qu’une benzodiazĂ©pine, un anxiolytique, vous envoie aux urgences parce que vous ĂȘtes tombĂ©, parce que vous en avez trop pris ou ce genre de choses. »

Selon Aude VandenbaviĂšre et ThimothĂ©e Grenaille, jeunes mĂ©decins de Bugeat : « Nous-mĂȘmes, en tant que mĂ©decins, on fait des prescriptions oĂč on leur demande de ne livrer qu’une partie de la boĂźte. Donc, on peut considĂ©rer qu’on est responsable aussi. C’est trĂšs difficile pour eux, parce qu’il y a cette condamnation, mais en fait, ça nous porte tous. Grosse sanction lourde, disproportionnĂ©e, mais grĂące Ă  laquelle, peut-ĂȘtre, on va rĂ©ussir Ă  faire bouger les lignes Ă  un niveau beaucoup plus haut et peut-ĂȘtre gĂ©nĂ©raliser, ce qui est une trĂšs bonne chose. C’est un bon coup de pied dans la fourmiliĂšre, en somme. »

Antoine Prioux et Eliza CastagnĂ© ont fait appel de leur sanction. La dĂ©cision pourrait se faire attendre plus d’un an.